Un bon coup diplomatique... et de pub

Le premier ministre Justin Trudeau et son épouse s’envoleront
aujourd’hui pour Washington, où ils rencontreront le président américain
Barack Obama, mais seront aussi conviés à un dîner d’État. Une
invitation à laquelle n’avait pas eu droit un premier ministre canadien
depuis près de 20 ans et qui a fait couler beaucoup d’encre depuis
qu’elle a été annoncée en décembre dernier. Mais cet événement fort
attendu n’est-il rien de plus qu’un coup d’éclat pour épater la galerie,
à coup de paillettes et de coupes de champagne ? Ou s’agit-il d’une
rencontre exclusive essentielle aux bonnes relations de deux alliés ? Un
peu des deux, selon des observateurs de la scène internationale.
Raymond
Chrétien a été ambassadeur en Europe, au Zaïre, au Mexique et aux
États-Unis, où il était en poste lorsqu’il a organisé la visite à la
Maison-Blanche de son oncle, l’ancien premier ministre Jean Chrétien, en
1997 — le dernier dîner d’État ayant pour hôte d’honneur un premier
ministre canadien. Et ce souper mondain est d’une grande importance,
insiste-t-il.
« Tous les chefs de gouvernement au monde rêvent d’un dîner de ce genre-là », argue Raymond Chrétien, aujourd’hui associé chez Fasken Martineau. En huit ans, Barack Obama en a tenu neuf. « C’est trois heures avec le pouvoir américain dans la même pièce. […]
À travers tout ça, il y a de multiples conversations qui vont avoir
lieu et qui sont poursuivies dans les semaines et les mois qui suivent », se souvient l’ancien ambassadeur, en entretien avec Le Devoir.
Des discussions qui, bien qu’informelles, passant « du plus léger au plus sérieux »,
sont d’autant plus importantes que le gouvernement Trudeau n’est en
poste que depuis quelques mois. Le premier ministre et ses ministres
doivent apprendre à connaître leurs homologues. « C’est là que les liens se tissent, s’affermissent. […] En diplomatie, tous ces moments-là sont importants, explique M. Chrétien. On y parle de tout »,
se souvient-il du souper d’État organisé par Bill Clinton pour son
oncle. Et on y jette les bases d’une relation primordiale pour la suite
de son mandat.
Le politologue Charles-Philippe David consent cependant que ces dîners d’État sont aussi une opération de relations publiques. « Là, ce qui est à la mode, c’est d’être vu avec Justin Trudeau, parce que c’est une rock star, qu’il a fait l’objet d’un reportage à 60 Minutes. […]
Ça n’a rien à voir avec la politique étrangère et les relations
internationales. Ça n’a à voir qu’avec la réputation politique, le
style, les cotes d’écoute, l’appui de l’opinion publique », estime le président de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.
Mais
il note néanmoins à son tour que, si frivoles soient-elles, ces soirées
aident à établir des canaux de communication importants. « On
crée des atomes crochus. Et le moment venu dans six mois où il faut
régler un gros irritant, vous avez déjà créé d’emblée une bonne chimie
avec le chef d’État, c’est sûr que vous pouvez faire avancer des
dossiers plus facilement. »
La
relation d’amitié entre le Canada et son voisin américain n’a pas
toujours été harmonieuse [voir encadré]. Ces dernières années, elle
s’était détériorée sous le règne de Stephen Harper. Bien que le
président Obama ait entamé sa présidence en choisissant le Canada pour
son premier voyage officiel, le dossier du pipeline Keystone XL a
rapidement envenimé sa relation avec le gouvernement Harper.
Les
rapports entre MM. Trudeau et Obama semblent beaucoup plus cordiaux.
Outre le dîner d’État, le président américain recevra le premier
ministre en tête-à-tête dans le bureau ovale et M. Trudeau sera l’hôte
d’un lunch avec le secrétaire d’État John Kerry. Des rencontres de haut
niveau qui envoient un signal à l’appareil gouvernemental américain, qui
comprendra qu’il doit donner suite aux dossiers qui y seront abordés. « C’est une impulsion qui vient du haut vers le bas. Et cette impulsion se fait sentir pour des semaines et des mois », relate Raymond Chrétien.
Discussions chargées
Justin
Trudeau et Barack Obama parleront climat et lutte contre les
changements climatiques, un dossier qui leur tient tous deux à coeur.
Ils pourraient annoncer une entente continentale en la matière
s’attaquant aux émissions de carburant et de gaz méthane.
Commerce,
Partenariat transpacifique et frontière canado-américaine seront
également abordés, notamment le partage d’informations sur les voyageurs
traversant la frontière et un prédédouanement des biens destinés aux
États-Unis.
L’entente sur le bois d’oeuvre, expirée depuis octobre, sera aussi une priorité du gouvernement Trudeau. « On
veut s’assurer qu’ils sont bien conscients à la haute direction du
gouvernement américain de la nécessité du libre-échange, y compris pour
le bois d’oeuvre », a affirmé le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, à La Presse canadienne.
Et ce type de sommet comprend toujours un « tour des dossiers internationaux »,
comme la crise en Syrie, les relations avec la Russie ou l’Arctique,
explique Raymond Chrétien. La participation du Canada à la lutte contre
le groupe armé État islamique sera aussi un sujet de discussion
inévitable, selon Charles-Philippe David.
À refaire dans un an ?
Ces
rencontres au sommet surviennent à dix mois de la fin du règne du
président Obama, et le gouvernement Trudeau devra renouveler son
opération de charme à Washington l’an prochain. Les liens tissés cette
semaine ne seront cependant pas tous oubliés. « C’est clair qu’il va falloir recommencer, mais il y a des pouvoirs permanents là-dedans »,
note Raymond Chrétien. Des sénateurs et membres du Congrès influents
seront toujours en poste, tout comme la haute fonction publique, qui
n’est remplacée qu’en « trois à dix mois ».
Les ministres des Affaires étrangères, Stéphane Dion ; du Commerce, Chrystia Freeland ; de la Défense, Harjit Sajjan ; et de l’Environnement, Catherine McKenna, accompagneront Justin Trudeau à la Maison-Blanche. Et certains rencontreront leurs homologues, tandis que des élus américains risquent d’être du dîner d’État et de celui du secrétaire Kerry.